ANCHYSES JOBIM LOPES *  

Psychanalyse, Poésie et Education: Image Trou et Lecture Poétique

Historique du travail de promotion de la lecture et de la question de l´étique et de la littérature.

Publiée dans Estudos de Psicanalise 30, publication annuelle du Circulo Brasileiro de Psicanálise (Cercle Bresilien de Psychanalyse), Salvador, Juillet 2007.

Anchyses Jobim Lopes (2)



Cela fait longtemps que le train chemine loin des dernières cités:
Il poursuit vers des champs d´ombre, (...)
Entre le nord et la direction, entre le soleil et le bleu, entre le temps et avril.
(...)

Joaquim Cardozo,
Vision du Dernier Train Montant au Ciel.

Mots-clés: Lecture-Poésie-Imaginaire-Image-Trou-Image-Mur
Keywords: Reading-Poetry-Imaginary-Hole-Image-Wall-Image
Résumé: Historique du travail de promotion de la lecture et de la question de l´étique et de la littérature. Le langage poétique comme essence de la lecture. Analogie entre poésie et rêve. Différence entre construction et invasion de l´Imaginaire par l´image. Conceptualisation de l´image-trou et l´image-mur. Sa relation avec les moyens de communication et la violence.
Summary: Historical of the work of the promotion of reading and of the relationship between ethics and literature. The poetic language as essence of the reading. Analogy between poetry and dream. Diferences between construction and invasion of the Imaginary by the image. Concepts of hole-image and wall-image. Relationship of the last with the mass media and violence.

Introduction
Quand je fus invité à participer à l´évènement commémoratif des 150 ans de la naissance de Sigmund Freud réalisé par le Département de Psychologie de l´ UFPR, j´ai proposé de présenter les dédoublements les plus récents d´une de mes particulières lignes de recherche : Lecture et Psychanalyse. Mon travail de Doctorat a discouru sur la Théorie de la Lecture (Lopes, 1996). A partir de celui-ci, je fus invité à participer au Programme National d´Encouragement à la Lecture (PROLER), de la Bibliothèque Nationale/Ministère de la Culture. Durant six années, j´ai participé à plus de vingt rencontres dans dix états, outre les discours à la Maison de la Lecture, au siège du PROLER, à Rio de Janeiro. Cela constitua une époque d´intense apprentissage: appliquer les concepts et l´expérience psychanalytique, dans une tentative de comprendre et surmonter les difficultés et même l´impossibilité de l´acte de la lecture. Le public cible était composé d´enseignants du primaire et du secondaire, bien qu´ à ces rencontres participaient aussi certains élèves et professeurs universitaires, bibliothécaires et promoteurs locaux de la lecture. Hormis cette partie pratique, il y en eut une plus théorique.

Pendant les années où j´ai participé au PROLER (1996-2002), l´entité fut dirigée, d´abord par un partenariat entre la Fondation Nationale du Livre Infantile et Juvénile (FNLIJ), dont le siège est à Rio de Janeiro, et l´Association de la Lecture du Brésil, basée à Campinas et soutenue par la Faculté de l´Education de l´UNICAMP. Plus tard la Fondation devint la seule dirigeante du PROLER. Ces deux entités possédaient philosophie et idéologie opposées. La Fondation, avait comme base la promotion de textes littéraires, mais sans donner de base, par la théorie, à ce choix, et utilisait des slogans du type : " lire fait du bien ", " lire fait croître dans la vie ", et " lire améliore la personne ". L´ALB, avec une solide formation en pédagogie, et avec l´influence de la pensée de Paulo Freire, était mue par l´idée que la lecture est importante par le fait de permettre l´accès aux informations indispensables à l´exercice de la citoyenneté, et que la lecture ne se restreint pas à peine à la littérature, mais que la lecture est la " lecture du monde ". Pour l´ALB, les devises de la Fondation révélaient l´apex d´une idéologie bourgeoise, qui privilégia la lecture de textes littéraires car cela était " de bonne augure ". Il m´a été confié la tâche de fournir une meilleure base théorique des principes de la Fondation, alors que l´ALB m´ouvrit toutes les portes, aussi bien par le biais des Congrès de Lecture du Brésil, dont les sièges sont à l´UNICAMP, que par le biais de ses publications (Lopes, 1998, 2001, 2004), afin que je défende un travail théorique qui, en partie, était à l´opposé de ses principes. En partie, parce qu´il m´a toujours été impérieux de concilier ce travail à l´importance de l´acte de la lecture pour la construction de l´éthique et de la citoyenneté.

Outre cette trajectoire de l´application de la Psychanalyse à la Pédagogie, la remise en cause théorique et pratique m'a forcé à repenser à de nombreuses questions de la propre Psychanalyse. Comme image fondamentale de la construction de l'acte de lecture, j'ai été obligé de sauvegarder sa fonction, tout comme l'importance de l´Imaginaire, réduits tous deux, par certains clichés cristallisés dans la terminologie psychanalytique, à des stéréotypes négatifs. Si, d'une part, il y eut un sauvetage de l'image et l'Imaginaire, d'autre part, le travail sur la diffusion de la lecture me mit face à l'antagonisme entre l´image constructrice de la lecture littéraire et l'image véhiculée par les moyens de communication à prédominance visuelle, la télévision et cinéma. Dans ce cas, l'image et le fonctionnement de l´Imaginaire ont une part de responsabilité par le fait d'être une des raisons de la violence, si présente dans le quotidien du spectacle imposé par la mondialisation. Comment comprendre cette double face de l'image, elles seraient des formes différentes de l'image, et de quelle manière le registre de l'Imaginaire se configurerait avec le Symbolique et le Réel, qui pourrait tellement changer dans sa qualité, la fonction de l'image?

Les Diverses Formes de Lecture : un Regard Psychanalytique
Il existe plusieurs types de lecture. Nous pouvons postuler qu´il y a différentes classifications. Nous utilisons provisoirement la question épistémologique de la relation sujet / objet. Il y a la lecture que nous étiquetons comme simple instrumental, que nous illustrons jovialement comme étant la lecture du " manuel du réfrigérateur ". Dans ce cas, il existe une corrélation absolue sujet / objet. Si le réfrigérateur ne fonctionne pas, ou si le manuel se trompe, ou si l´équipement a un défaut. A partir de la lecture instrumentale simple, il existe plusieurs types de lecture didactique. La lecture didactique peut varier du purement instrumentale - annotation pour "ne pas sécher" - au texte qui transmet de nouveaux contenus, tout comme le cahier d´exercices qui cherche vraiment à exercer de nouvelles compétences et à créer de nouvelles solutions. Le cahier d´exercices peut être nommé de lecture instrumentale complexe. Avec la lecture qui permet la saisie de nouveaux contenus, nous entrons dans la liste des lectures d'information. Dans ce dernier groupe se trouve la lecture journalistique, dont le degré de fiabilité doit être jugé par le lecteur, la lecture qui s'ouvre à l'interprétation, même si c´est dans certaines limites. La corrélation sujet / objet devient une source de jugements par le lecteur: le journal est-il fiable, le commentateur politique est-il tendancieux, quels sont les intérêts qui sont cachés derrière?

Mais lorsque nous parlons de l'importance de la lecture, de l'acte de lire et des livres, nous pensons toujours à quelque chose au-delà des formes de lecture instrumentale ou informative: nous pensons à la lecture de textes littéraires - de n´importe quel genre, pour tout âge. Dans la lecture littéraire, la relation sujet / objet penche vers le pôle subjectif. Ce qui signifie également que le problème philosophique de la Vérité n'est plus ancré sur une corrélation épistémologiquement simple et instantanée d´une adéquation entre sujet et objet, mais sur un processus de reconstruction de la Vérité au sein du sujet (que nous pouvons nommer, à partir de l'existentialisme et la philosophie existentielle, de dévoilement de la Vérité). Avec la lecture du texte littéraire, nous entrons dans un nouveau domaine, où la classification épistémologique va de l´avant avec l'aide de la Psychanalyse. La lecture du texte littéraire implique que l'on doit oublier que tout ce qui est devant soi est une feuille avec des signes imprimés. Contrairement à la lecture instrumentale ou à la lecture informative, l'objet vers lequel est dirigée l'attention n'est pas externe, mais recréé au sein du lecteur. Que ce soit un roman, la lecture d'une pièce de théâtre ou d´un poème, le lecteur construit dans son moi une image (3) et un sentiment. Ou plusieurs images et sentiments, comme dans les cas du roman ou de la pièce de théâtre, dans lesquels, en plus d'oublier qu'il s´agit d´un simple papier imprimé qu´il a devant lui, les images d´une histoire commencent à défiler dans l´intérieur du moi du lecteur. Tout se passe comme si au sein de lui-même le lecteur avait un théâtre ou un écran de cinéma. Nous pénétrons dans le royaume d'un type de songe où nous sommes conduits par l'auteur. Mais au lieu de rêver éveillé, passager et ancré dans un bref fantasme, communément érotique et narcissique, le songe de la lecture nous mène à un voyage plus long et plus ample.

Parler de rêve et de songe mène directement à la Psychanalyse. L'Interprétation des Rêves, Sigmund Freud (Freud 1978), contient en son renflement, parmi beaucoup d'autres choses, une théorie du langage. Chaque rêve ou image d´un rêve peut se traduire par une phrase, Freud l´a nommée pensée onirique. Il y a une corrélation directe entre image et langage. Mais la phrase qui se transforme en image, et vice-versa, n'est pas une phrase que nous appelons prose, mais elle forme une phrase poétique d'une grande beauté et de sens (4) .

Dans la pensée onirique, parmi bien d'autres caractéristiques, prédomine un langage condensé, avec peu de connectifs, composé presque exclusivement de substantifs, remplis de double sens, des sens nouveaux et des mots inusités. Aussi bien dans le sommeil que dans le langage poétique, l'essentiel est le seul esquissé. La recréation de l'image par le lecteur laisse à sa propre imagination la charge d´ inventer et de combler toutes les lacunes. Remplissage et invention qui le conduisent directement à d´infinies associations, conscientes ou inconscientes. Ainsi, plus que dans le songe, nous pouvons penser en terme imagination = image/action. En utilisant les principes freudiens de l'interprétation des rêves, nous évaluons le concept (Lopes 1996) comme étant l´essence de la lecture littéraire un type d'image, celle qui se constitue comme étant "l'espace" intra subjectif recréé par le langage poétique.

Mais la relation entre l'image du rêve et de la lecture nous conduit à d'autres mystères. La description détaillée, le manuel du réfrigérateur qui ne laisse pas de place à d'autres interprétations, est du domaine de la prose. Les lectures instrumentales et informatives se servent uniquement de prose. Et d´une prose dénotative de pure linéarité, de sens unique et d´unique sens. La lecture littéraire oscille entre des extraits de prose et des extraits de poésie (5) .Mais ce que nous appelons génériquement de poésie, possède d'autres similitudes avec le rêve que la simple analogie avec la pensée onirique. Le langage poétique se sert d'un langage connotatif, intensément polysémique. Avec autant de sens, pourquoi le rêve se divise-t-il aussi en autant de personnages, scénarios et thèmes? D'où viennent-ils ? Dans quel but: le théâtre, le cinéma, la télévision ou le roman, pourquoi même éveillés cherchons-nous d'autres histoires qui ne sont pas les nôtres? Pourquoi un seul je ne nous est-il pas suffisant ?

Les êtres humains sont par nature des créatures qui éprouvent du plaisir dans le mimétisme (idée qui vient du "Poétique" d'Aristote (1992)), ceci, à la fois dans la représentation ou l´imitation du réel par l'art, comme dans l'imitation du geste, de la voix et de la parole d´autrui. Les images intérieures causées par la lecture littéraire, qui peuvent également être évoquées par le récit oral, métamorphosent le lecteur en différents personnages, le transportant dans des époques de cultures et de croyances qui n'existent déjà plus, ou dans lesquelles il ne pourra jamais aller, il devient possible de voyager dans le temps et dans l'espace, et pas comme simple spectateur d'un documentaire, mais comme participant à l'expérience d ' "être dans la peau de quelqu'un." De ces voyages on ne revient pas impunément. Définit le prix Nobel de Littérature Elias Canetti (1990): le poète écrivain est le gardien des métamorphoses. Le rôle de chaque lecteur est de réactiver cet héritage, d'inventer son itinéraire de voyage et de se risquer à des transformations. Canetti a prophétisé:

Dans un monde où sont importantes l'expertise et la productivité, qui ne voit rien, si ce n´est les apex (...) dans une sorte de limitation linéaire (...) qui multiplie de forme irréfléchie les sources de sa propre destruction (...) qui pourrait être qualifié du plus aveugle de tous les mondes, il semble d´une importance fondamentale l´existence de certains qui, malgré eux, continuent à exercer le don de la métamorphose (6).

La lecture littéraire peut alors être considérée comme englobant également une dimension éthique. Ayant vécu "dans la peau" d'un autre modifie la façon dont nous nous verrons nous-mêmes et la société où nous sommes. Ce " être dans la peau" d'autrui fait que nous sommes reconnus comme quelqu'un ayant des souhaits, des désirs et une propre histoire. Quand je vois les autres dans leur similitude, je commence à les reconnaître comme des êtres humains et, comme tous les êtres humains, chacun se construit comme une fin en soi et non un simple objet de satisfaction de mon désir. Une éthique de différences, qui ne peut être comprise qu´à partir d'une expérience intime des différences. C´est à partir de cette logique que nous avons pu défendre la lecture littéraire au-delà des clichés: "lire fait du bien", "lire aide les gens", "lire fait croître dans la vie." La lecture littéraire devient, alors, l'une des racines constructrices de la citoyenneté. Une racine nécessaire, même si par elle-même elle peut ne pas toujours être suffisante.

Au cas où nous tenterions de comprendre par la Psychanalyse les mécanismes du fonctionnement du mimétisme, nous arriverions au concept de: l'identification, de la projection et de l 'identification projective. Des concepts qui font partie des dimensions de l'affection et des théâtres du corps, qui nous aident à comprendre ce qui se cache derrière le don humain universel de la métamorphose. Les mêmes concepts peuvent expliquer les phénomènes de transfert et contre-transfert, sans lesquels l'essence de la méthode psychanalytique - libre association et attention flottante - deviendrait impossible. En particulier par le fait que la libre association et l'attention flottante ne peuvent être obtenues au travers d´une expérience qui serait purement intellectuelle, mais d´un affect qui atteint souvent une dimension corporelle. D´ailleurs il serait encore plus impossible, sans ces concepts, d´essayer de comprendre la Psychanalyse comme une éthique: c´est du refus de tout pouvoir sur autrui que l'hypnose ou le charisme personnel peut exercer, c´est de ne pas imposer à autrui mes croyances religieuses ou politiques, c´est de la reconnaissance des limites imposées par mon idéologie sociale, du respect des différences sexuelles. Cette comparaison entre lecture littéraire et Psychanalyse suggère plusieurs corollaires. La vieille question de savoir si la Psychanalyse est une science peut être répondue: non, ce n´est pas une science, il s'agit d'une poétique. Elle appartient au désir, à l'inconscient que chaque patient a de réinventer la Psychanalyse, par le biais de son itinéraire personnel de voyage, de raconter et reraconter ses histoires, de risquer de nouvelles métamorphoses.

La défense de l'image comme essence poétique de la lecture littéraire a obtenu sa preuve pratique, par le biais d'ateliers et mini cours où nous avons travaillé sur la diffusion de la lecture au PROLER. Mais ce même travail nous a mis face à plusieurs difficultés rencontrées dans le traitement du mot imprimé en images. Et une grande part de cette difficulté a pour origine la propre question de l'image, mais d´une autre dimension de l'image que la poétique.

La Pure Violence du Pure Imaginaire
Dans le travail pratique de la diffusion de la lecture nous nous sommes retrouvés confrontés à plusieurs obstacles. Il y a toutes les difficultés escomptées: socio-économiques, politicage, le mépris de la plus grande part de ceux supposés responsables de l'éducation, aussi bien de la lecture que de l'éducation elle-même, entre autres. Mais ce sont tous des obstacles externes. Les obstacles internes, ceux qui valorisent la lecture, mais qui n´arrivent pas à l'exercer ou à la transmettre, ont été le principal sujet de notre pratique et de notre théorisation. Surmonter les obstacles internes a toujours été l´un des principaux défis de la Psychanalyse.

La principale difficulté de la lecture littéraire, disons le "saut du chat", est l'incapacité à construire l'image poétique. L'un des principaux obstacles à la production de cette image est la concurrence avec un autre type d'image, à prédominance visuelle: jeux vidéo, télévision, cinéma, internet. La simple condamnation de ces véhicules de communication serait inutile et manichéenne. Même le jeu vidéo, en plus d´être amusant, peut être très instructif. Mais il y a un consensus sur le fait que, dans la société contemporaine du spectacle, dans les images de ces médias, il y a une prédominance de l'agression, l'érotisme et de la répétition. Ont ressurgi également des symptômes de dépendance à l´image, aussi graves que la dépendance à la drogue. Pour comprendre ces symptômes, l'utilisation du concept lacanien de l'Imaginaire, par ce qu´il possède de plus négatif, est très utile.

Ont échoué toutes les tentatives simplistes pour relier directement la violence d´aujourd´hui à la violence des moyens de communication. Par exemple, des recherches sur le fait que l'agressivité des dessins animés conduit à un comportement agressif chez les enfants n´établissent pas une relation directe, ou ne produisent pas de données conflictuelles qui peuvent être approuvées aussi bien par les défenseurs que par les critiques de la thèse initiale. Toutefois, nous sommes d'accord avec Maria Rita Kehl (2004) quand elle affirme qu´il y a un consensus sur le fait que les sociétés industrielles contemporaines sont des sociétés très violentes, violence qui ne peut s'expliquer uniquement par l'exclusion sociale. Nous sommes d'accord quand elle écrit qu´elle soutiendrait la thèse que, dans les sociétés régies par la culture de masse (...) la tyrannie de l'image est écrasante (...) - il y a oui, un type de violence propre au fonctionnement de l´Imaginaire en lui-même (7),, et la violence de l´Imaginaire est indépendante des contenus des images.

Le cinéma et la télévision, sans oublier les jeux électroniques, les véhicules qui se servent de l'image déjà prête, imposent des images à une telle vitesse et intensité du contenu, que très souvent elles ne laissent pas le temps au spectateur de les digérer. Contrairement à l'image poétique, dont le développement temporel appartient à sa propre essence, l'image des moyens de communication est instantanée. Si, freudiennement, nous adoptons le concept du traumatisme comme une très grande quantité d'énergie en un laps de temps très court, ce qui entraîne une marque - fixation - incapable d´être élaborée, et dont la défense psychique est de la maintenir inconsciente, nous comprenons comment ce type d'image est potentiellement pathologique. Ajoutons le fait que les images diffusées soient trop agressives et / ou érotisées. En accord avec l´aphorisme de la psychanalyse, "celui qui souffre passivement, inconsciemment, s´oblige à répéter activement", nous pouvons réfléchir sur la compulsion et la dépendance - caractéristiques de tous les vices - ainsi créées, comment elles constituent un encouragement à agir sans réfléchir.

Le travail de réflexion exige un effort initial. Nous sommes uniquement passés du processus primaire au secondaire, parce qu´on nous empêche d´atteindre une autre forme plus directe et rapide de satisfaction. Dans le registre du Symbolique il y a aussi du plaisir, mais ayant comme médiateur le langage, par une chaîne de signifiants qui glissent en permanence. Chaque fois qu'une signification est obtenue, la chaîne s´étend et il y a une satisfaction, mais partielle, parce que, par la suite, la chaîne recommence son travail de Sisyphe. Travail également exigé par le Réel, chaque fois qu´il s´obstine à envahir le Symbolique, une invasion qui révèle l'ignorance du sujet. Le Langage poétique, connotatif, laisse toujours un reste inexplicable du Réel, et en même temps, sa polysémie ne peut jamais être épuisée, ce qui déshabilite également toute hypothèse d'une connaissance absolue. Et ce n'est que la perception de la propre ignorance qui peut socratiquement provenir de la recherche de la connaissance, et la pensée s´enrichit toujours un peu plus.

Ainsi, nous comprenons comment l'image traumatique, sédimentée dans le registre de l´Imaginaire, fonctionne en sens inverse de l'image de la lecture littéraire. L´image traumatisante recherche une totale satisfaction, le concept lacanien d´une jouissance non phallique, qui fait partie de la pulsion de mort de Freud, parce que la satisfaction: absolue, complète et éternelle serait la mort. Par le fait de se maintenir inconsciente, l'image traumatique ne rajoute qualitativement rien en soi, sinon le fait d´être son intensification quantitative. Ici, rien n'indique l'ignorance, il y a illusion, ou d´un savoir absolu, ou d´une complète inutilité de toute recherche du savoir. La jonction entre les registres du Réel et de l´Imaginaire est d'exclusion: soit l'un soit l'autre. Bientôt toute critique de ce savoir absolu, ou la recherche de la jouissance au-delà du phallique, sera rétribuée avec violence. Il se formule également l'idée qu´ici, ou il n'existe pas de possibilité que le langage s´insère, ou quand cela se fait, c´est purement dénotatif. La pure dénotation sert à peine de récit des passages à l'acte qui ont déjà eu lieu, tout comme elle ne permet pas une quelconque brèche où s´insère un second ou troisième sens. Nous pouvons avoir trouvé l'essence du discours pervers de la contemporaineté (QUEIROZ, 2004), et ceci si ce parlé mérite pour le moins l'étiquette de discours, et pas celle d´un simple simulacre.

Même sans la critique et la limite, l'image essentiellement dans le registre de l´Imaginaire, en elle-même, engendre la violence. Dans la mesure où l'image traumatisante est toujours vécue comme une invasion de l'Autre, elle augmente son degré de pathologisation. Cet Autre incarné est toujours persécutoire pour le sujet, parce que c'est une figure qui sait tout de ce sujet, son désir, qui prévoit pour le sujet bien plus que ce qu´il ne sait de soi, ce qui provoque toujours une réaction paranoïaque. Kehl (2004) attire l'attention sur l'ubiquité de la télévision, qui aujourd'hui, outre le salon ou la chambre, se trouve dans tous les lieux publics: restaurants, salles d'attente, gares routières. Ou son apparent opposé, spectacles qui ont lieu dans des espaces fermés remplis de caméras cachées, soit le téle réalité (Loft Story/Star Academy) , soit le centre commercial. En plus d'être l'Imaginaire où le corps a été ancré dans une forteresse narcissique, d´où toute altérité est vécue comme une menace et unique réponse à l'agressivité, le caractère persécutoire des images-clés de la contemporaineté finit par produire des comportements violents, agression contre quelque chose qui pour être omniprésent est impossible à combattre, et le voisin le plus proche sera la prochaine victime.

L'Imaginaire, dont le concept de Lacan a initialement comme origine l´état du miroir, est la cause de l'appât lié à une expérience de clivage du sujet, des illusions du moi, d´une relation intersubjective dans laquelle est introduit quelque chose de fictif. Mais l'Imaginaire est le registre des sentiments et, malgré l'ambivalence universelle des êtres humains, il existe aussi comme réservoir narcissique et comme le siège de l´ image du moi et du corps. Et, aussi aliénants que soient le moi et le corps, ils donnent de la plénitude au désir, même si celui-ci est le désir de l'Autre.

Mais si l'imaginaire est aussi le registre des sentiments et le réservoir narcissique, toute expérience en a besoin pour avoir un certain degré de corporéité, d´affect, de plénitude existentielle du vécu. Sans la congruence du Symbolique, aucune expérience ne possède de sens, mais si dans le domaine exclusif de son registre, l´expérience ne possède pas de densité, il apparaît une déréalisation, le propre sens n'a plus de sens parce qu'il n'est pas vraiment ressenti comme vécu, expérimenté. Appliqué à la lecture, cela se comprend comme une pure prose, "le manuel du réfrigérateur", il se situe complètement dans le registre du Symbolique, il peut être très utile, mais il est vécu comme quelque chose de totalement en dehors du sujet, clivé ou non.

Le registre de l´Imaginaire ne peut être satanisé. Réel / Symbolique / Imaginaire, tous ces trois registres coexistent et sont reliés ensemble. Et nous voyons pourquoi, se trouvant dans le registre pur du Symbolique, le "manuel du réfrigérateur" ou un traité de logique classique, sauf pour les techniciens en réfrigérateur ou en logique, n'est pas la plus passionnante des lectures. L'image poétique, comme l'essence de la lecture littéraire, a également besoin d'un ancrage dans l´Imaginaire. La question de l'image a besoin d´être problématisée, entre une image exclusivement du registre de l´Imaginaire, et une autre qui partage aussi du Symbolique. La problématisation qui demande un approfondissement théorique plus dense.

Image-Trou et Image-Mur (8)
Lorsque nous décrivons l´image désenchaînée par la poésie comme essence de la lecture littéraire, nous proposons un phénomène plus complexe qu´ une image qui est un simple registre de l'Imaginaire. Dans celui-ci les images sont statiques, narcissiques, spéculées. L'image poétique se compose d'une succession d'images et d'associations conscientes et inconscientes. Si nous parlons de succession, nous parlons de temps, sans lequel il ne peut y avoir aucun langage humain. Tous les langages, en particulier ceux construits d´une succession d'images, construisent un discours, un terme qui vient du latin discurrere: parcourir, traverser. Et bien, il faut un certain temps pour parcourir ou traverser quoi que ce soit. Le sentiment de temps: existentiellement la perception de la finitude et de la limite, la présence du Être-pour-la-mort (forme maximale de la castration, le squelette vêtu de noir avec une faucille).

Par le fait d´être transmis par la parole, l'image poétique a aussi un visage tourné vers le registre du Symbolique. La poésie atteint la dimension de la détermination du sujet dans sa relation avec le désir, aussi bien de façon intra subjective, que de façon intersubjective. Il apparaît que l'image poétique est créée à la jonction entre l'Imaginaire et le Symbolique, la double face entre: image et langage, entre rêve et parole, entre le sans temps et la fluidité du temps; En dehors du fait que cette convergence conduit à un troisième terme, l'Imaginaire et le Symbolique convergent en coeur vers l´objet a. Mais l'image poétique dans son acceptation implicite de la temporalité n´essaye pas de le rejeter, mais cherche à reconnaître et apprivoiser le manque. Dans la mesure où elle est le temps, la propre image poétique est déjà en elle-même un manque, ainsi nous pouvons lui donner le concept d´image-trou, qui conjugue l'Imaginaire et le Symbolique, qui, en plus d´accepter le manque - castration et différence - a en soi le don de l'inclusion: l´un et l'autre. En outre, dans le thème du Symbolique / Imaginaire / Réel, la jonction S-I a également été décrite par Lacan (1979) comme le lieu de l'amour (9).

Contrairement à l'image du trou, nous avons l´image exclusivement de l´Imaginaire: l'image-mur. Statique et intemporelle, sans le langage comme médiation, ou avec simulacre seulement dénotatif, l'image-mur fonctionne en antagonisme à la reconnaissance du manque, et nie ou lutte contre toute absence ou trou, tant inutile que soit ce combat, parce que celui contre lequel elle lutte revient toujours. L'image-mur renie également la castration et la différence, le comportement induit par celle-ci est intrinsèquement pervers. Dans le registre de l'Imaginaire, le père est la figure infantile, concrète et corporelle, figure sans manque, qui est la loi, une loi absolue; alors que le père du Symbolique n´est pas complet et absolu, il devient celui qui représente le manque, qui fait la loi. Le père Imaginaire incarne le savoir absolu de l´Autre, étant une figure persécutoire du pouvoir illimité. Dans sa ressemblance, l'image-mur, outre l´exclusion et l´imposition dans le besoin de satisfaction, ne représente pas qu´une loi absolue, comme elle impose également que soit poursuivi celui qui ne communie pas avec elle - au fond une perversion travestie en loi. Maintenant, si nous nous dirigeons ver l'autre jonction de l´Imaginaire, celle avec le Réel, à cette jonction s´accentue toujours plus l'exclusion: soit l'un soit l'autre. En outre, dans le sujet Symbolique / Imaginaire / Réel, la jonction I-R a également été décrite par Lacan (1979) comme le lieu de la haine.

Conclusion
La question de la lecture et l'étude des images-trou et mur conduit à un chemin tellement précieux pour Freud: l'intersection entre l'Art et la Psychanalyse. Bien que le fondateur de la Psychanalyse ait souvent profité de l´Art seulement comme documentation pour illustrer ses idées, la richesse de ses citations littéraires montre de la façon la plus claire possible son amour de la littérature et des textes classiques de l'occident. Dans la mentionnée Interprétation des Rêves ces références ont lieu en nombre et fréquence si grandes, qu´elles peuvent également être lues comme un canon de la critique littéraire. En même temps, elles indiquent combien Freud a eu besoin de la littérature, spécialement de la poésie, pour contextualiser et illustrer ses idées.

Selon les détracteurs de la Psychanalyse, un des principaux défauts de son fondateur, a été l'ambition, notamment l'ambition explicative. Sans aucun doute, le savoir populaire, auquel Freud donnait tant de valeur, contrairement au savoir académique, a à peine servi à créer le dicton "Freud explique." De l'origine du Psyché dans l'enfance, aux origines de la culture et de l'humanité, de la clinique individuelle, les hypothèses sur les grands phénomènes socioculturels, Freud ne se plaçait pas où ils désiraient qu´il soit mis. Freud en tout cas s´assimilait à Socrate et à l'amour, complètement atopique. Dans ce cas, allant dès l´expérience en Pédagogie et en promotion de la lecture, jusqu'à la tentative d'explication de la violence et de la culture contemporaine et des maux de la mondialisation, ce présent texte est absolument fidèle à l'ambition freudienne. Les concepts, oui, doivent être encerclés, dans un régime de liberté sous surveillance. Freud a toujours revu ses idées, toujours manipulé et refait ses théories avec l'intimité de celui qui utilise et tire de nouveau profit d´une vieille sandale. Alors que de nombreux disciples de Freud (et plus encore Klein et Lacan), ont peint en doré les sandales, les ont mises sur un piédestal de marbre, avec une cloche de verre par-dessus. De l´idolâtrie, il y en a pour tous les goûts. Essayer de comprendre les problèmes contemporains par le biais de concepts psychanalytiques et les critiquer quand ils rencontrent leurs limites, émettre des théories sur de nouveaux dédoublements et des concepts, pourtant tout en maintenant le point d´appui d'une ligne de recherche et la mise en valeur de la Vérité, tout cela ressemble à l'essence de ce que Sigmund Freud nous a légué. Je considère donc cela comme la meilleure façon de l'honorer pour le hexa centenaire de sa naissance.

NOTES
1- Travail présenté oralement comme partie de l´évènement L´ Art de l´ Inconscient: Contributions de la Pensée de Freud à l ´ Art et à la Culture- Freud 150, dans une présentation à l´Université Fédérale du Paraná , le 15 septembre 2006.
2- Médecin et Bachelier en Philosophie, les deux à l´UFRJ; Maître en Médecine (Psychiatrie) et Maître en Philosophie, les deux à l´UFRJ; Docteur en Philosophie à l´ UFRJ; Psychanalyste et Membre Effectif du Cercle Brésilien de la Psychanalyse - Section Rio de Janeiro; depuis 1984 enseigne dans des cours de Graduation en : Psychologie, Pédagogie et Lettres; enseigne également dans des cours de Spécialisation en Psychothérapie Psychanalytique et de Formation Psychanalytique.
3- Nous avons fait attention à ne pas confondre les termes image et imagination, avec la conceptualisation du registre de l´ Imaginaire par la Psychanalyse.
4- Freud, S. (1978). L´interprétation des Rêves (1er volume). En S. Freud, The standard edition of the complete psychological works of Sigmund Freud, IV .London, The Hogarth Press and the Institute of Psycho-Analysis; pg. 278.
5- Nous nous référons à la poésie principalement par le poème court, dans le cas de poèmes longs comme La Divine Comédie il existe cette oscillation entre création et non-création des images, ceci est entre la poésie stricto sensu et la prose.
6- Canetti, E (1990). L´office du poète. Dans La conscience des mots. São Paulo: Compagnie des Lettres, 1ère réimpression; pgs 281-282.
7- Kehl, M. R. (2004). Télévision et violence de l´imaginaire. Dans E. Bucci et M. R. Kehl, Vidéologies - essais sur la télévision. São Paulo: Boitempo; pg. 88.
8- Termes proposés par Madame la Professeur Tânia Rivera, dans un de ses séminaires sur la Psychanalyse et l´Art, administrés dans le Corps Freudien de Rio de Janeiro en 2006.
9 - Lacan, J. Le Séminaire 1 - Les écrits techniques de Freud. L´appartenance simultanée aux registres de l´Imaginaire et du Symbolique fut également décrite lors du Séminaire 22 - RSI, comme la jouissance du sens. Pourtant, jusqu´à présent, ce séminaire n´ a pas encore été publiquement édité, aussi bien hors du pays qu´au Brésil, nous avons seulement accès à une copie traduite photocopiée, dont la qualité ne permet pas de citation plus sérieuse.
Quant au Séminaire 23 - Le Sinthome, configurant une révision dramatique sur le sujet du Réel/Symbolique/Imaginaire, mérite aussi un travail de révision des idées du présent article, u travail que complémente la compréhension de l´acte de la lecture, avec sa contrepartie, l´écriture, et également, comme symptôme et Nom du Père.

BIBLIOGRAPHIE:
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Publiée dans Estudos de Psicanalise 30, publication annuelle du Circulo Brasileiro de Psicanálise (Cercle Bresilien de Psychanalyse), Salvador, Juillet 2007.

NOTES:
Membre Effectif et Psychanaliste du CBP-RJ, Médecin et Bachelier en Philosophie de l´UFRJ, Maître en Médecine (Psychiatrie) et en Philosophie de l´ UFRJ, Docteur en Philosophie de l´UFRJ